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28 août 2023

Chute libre

Oui, le document proposé aujourd’hui est encore une nouvelle !

Une nouvelle dont la genèse mérite d’être rapportée : il s’agissait d’abord d’un chapitre du roman « Le crépuscule des dépravés ».

Puis ledit chapitre et le roman, tout en continuant de se porter le même respect mutuel, ont souhaité cependant prendre l’un envers l’autre une réciproque indépendance.

J’ai dans un premier temps résisté à ce qui me paraissait un caprice d’écritures. Mais les deux textes ont tellement insisté, que j’ai fini par plier : le droit des écritures plus fort que le droit d’auteur.

Ai-je bien fait ? Merci d’avance à qui voudra me donner son avis !

—-

Le monde tourne, tourne, trop vite, trop fort.

Tellement mal. Tant de douleur, tant de souffrance. En finir ! Mais il ne faut pas. Il faut qu’il tienne, il faut qu’il attende.

L’autre viendra. Tôt ou tard. Attiré comme une mouche par du miel. Il faut qu’il l’attende.

Pour se distraire d’attendre et de souffrir, il rêve. Pas vraiment des rêves, plutôt des cauchemars. Comme la vie.

Ils le cherchent. Il est recherché. Très recherché. Trop peut-être. Il a fui. Il est en fuite. En cavale. Cavalcade. Il se cache. S’ils le prennent, il est mort. S’ils ne le prennent pas, il est mort. Vive la vie.

Ils cherchent tous les chrétiens et tous les juifs. Ils les ont sans doute déjà tous capturés. Il est le dernier des Mohicans, mais aujourd’hui, les Mohicans sont chrétiens. Il est peut-être bien le dernier des chrétiens, et il n’y a plus de juifs.

D’ailleurs, ce n’est pas vrai. Ils ne poursuivent pas seulement ce qu’il reste de chrétiens. Ils poursuivent tous ceux qui ne pensent pas correctement. Penser correctement ? La ligne officielle définie par la police de la pensée. La police de la pensée s’occupe de tout. Pour les religions, c’est clair. La seule réellement tolérée, sinon encouragée, est la musulmane. Pourquoi ? Peut-être tout simplement parce qu’ils n’ont pas réellement les moyens de faire autrement ?

Pour leur échapper, il a pris par le bois. Dans le bois, par les taillis et les ronces les plus épaisses. Pas vraiment question de courir. Trop tard, trop vieux pour espérer les semer à la course. Il n’a pas réellement couru ; surtout rampé ; au ras du sol, parfois, juste en dessous des ronces ; comme un rat, ou plutôt comme un vers ; caché, pris en charge par notre mère Nature en personne impersonnelle. Il ne les entend pas, il ne les entend plus. Aussi incroyable que cela puisse paraître, et tout vieillard qu’il soit, il a fini par les semer. Bien sûr, ce n’est qu’une victoire provisoire, éphémère ; ils vont certainement continuer de le chercher ; on sème ses ennemis, par facilité ; la sagesse serait de les exterminer ; les ennemis semés finissent toujours par repousser, encore plus nombreux ; si nombreux qu’il n’y a plus de moyen de les éviter.

Mais pour le moment, répit ; il est si fatigué ; il se décide ; il va rejoindre le chemin civilisé ; le chemin civilisé, il le devine, un peu plus loin, devant lui ; rassemblant ce qu’il lui reste de forces, il se fraye un passage entre les branches et les ronces sauvages, vers la civilisation. 

Soudain, le sol, qui n’était déjà pas tellement fiable, le sol, traîtreusement, se dérobe sous ses pieds. Trahi par le sol. Il glisse, il glisse encore, toujours plus loin, toujours plus vite ; et puis très tôt, très vite, c’est fini, tout s’arrête. Net. Soudain. Sans appel. Il essaye de comprendre. De rassembler ce qu’il lui reste d’esprit. Analyser la situation. Ou tout au moins, ce qu’il en reste.

C’est l’évidence, on ne peut pas tomber plus bas. Il ne peut pas tomber plus bas. Au fond du trou. En fait, au fond d’un fossé. Mais trou ou fossé, c’est du pareil au même, il ne peut pas tomber plus bas.

Le piège ; entre les ronces et le chemin civilisé, il y avait un fossé, qu’il n’avait pas deviné. Entre les ronces et le chemin, il y a un fossé, et au fond de ce fossé, il y a lui.

La voix intérieure parle. Non, ordonne. Ordonne, comme toujours.

– Il faut remonter la pente ! On peut toujours remonter la pente !

Il essaye de remonter la pente. Comme il peut. D’abord se redresser. Se remettre sur ses deux jambes. Enfin ce qu’il en reste. Mais déjà ça, presque surhumain. Toute cette boue, au fond de ce fichu fossé. Rien, désespérément rien pour s’accrocher ou pour s’aider. Rien, pas une aspérité le long de la paroi gluante et visqueuse, pas une pierre, pas un bâton au sol. Rien. Un moment, le désespoir le saisit. Il rit. Un désespoir de vieux, pense-t-il ! Risible.

Au fond du trou, comme on dit. Comme la vie. Au fond du trou de la vie, rien ; ni pour s’accrocher, ni pour s’aider. On ne remonte pas la pente. Les menteurs. Les parleurs. Le fond du trou, ils n’y sont jamais allés. Ils ne savent pas.

La vieille ! La vieille l’avait prédit : « Tu verras, toi aussi, tu seras vieux, un jour. Bientôt. Et toi aussi tu marcheras courbé, pénitent constamment prosterné. Tu boiteras, tu auras mal aux jambes. Et si tu tombes, tu auras de la peine à te remettre debout. Et puis, tu tomberas, plus bas, plus profondément que les autres fois, tu finiras par tomber si bas, très bas, et cette fois tu ne t’en relèveras pas. Ta chute, ta tombe ! »

Ce fossé ; sa tombe ; non ! Il va se redresser ; quand on veut, on peut ; c’est ce qu’il disait à la vieille ; quand on veut, on peut ; suffit de le vouloir ; il le veut ; il va se redresser ; bien sûr, cela va demander du temps, coûter des efforts ; bien sûr, il faudra se réunir et lutter tous ensemble ; les os, les nerfs, les muscles, et tout le tintouin ; il faudra réduire les dépenses et augmenter les recettes, serrer la vis ; mais quand on veut, on peut ; on va faire ce qu’il faudra, et on finira par redresser la situation. On fera des discours, on fera des meetings. Ce qui finira par redresser la situation.

En fait, il est tombé sur le ventre ; le nez dans le ruisseau ; c’est la faute à… non, cette fois, ce n’est la faute de personne ; la sienne, seulement ! Il n’a pas fait assez attention. Il a fait confiance au sol. Pourtant, à son âge, il aurait dû savoir qu’il ne faut se fier à rien, ni à personne.

Tout compte fait, pas plus mal, sur le ventre ; remonter d’abord les genoux ; puis les bras ; s’extirper de la boue ; à quatre pattes ! Bravo, à quatre pattes dans le ruisseau !

Mais voilà, c’est en réalité maintenant que les vraies difficultés commencent ; à quatre pattes, c’est un début ; mais pas question de rester comme ça ; trop humiliant ; question d’amour propre ! On ne va pas vraiment dans la vie, quand on va à quatre pattes ; les bébés, si ; mais ensuite, non ! Un vieillard à quatre pattes, ça fait rire, et c’est tout. Il rit.

Rire, c’est bien. C’est viril et courageux. Même pour un vieillard, même à quatre pattes. Ça éclaire la nuit, ça égaye le paysage. Mais ça ne permet pas de redresser la situation. Pas vraiment. Pas du tout.

La vieille. Comme c’est étrange de penser à la vieille maintenant ! La vieille se venge. Il s’entend prononcer à haute voix : « la vieille se venge ».

La vieille. C’est drôle. Elle était vieille à l’époque. Quand il était jeune. Enfin, encore jeune. Puis elle est morte. Comme toutes les vieilles. Morte, elle a cessé de vieillir. Vivant, il a continué de vieillir. Il est aujourd’hui beaucoup plus vieux qu’elle ! Il dit la vieille, mais désormais, la vieille est plus jeune que lui. Pour toujours, pour l’éternité. En somme, leurs destins se sont croisés. Deux fois.

Et lui, pendant ce temps, toujours à quatre pattes dans la boue. Le pire, ce n’est pas la boue ; c’est le froid. À nouveau, bravement, il rit.

Il parvient à redresser le tronc en dehors de ça. Il est à genoux, les fesses sur les talons. Pas si mal. À moyen terme, une impasse. Tôt ou tard, il le sait bien, il ne supportera plus cette position. Mais en attendant, pas si mal. Plus digne. Moins froid. Et plus de visibilité aussi.

Plus de visibilité ; pas très rassurant ; à son âge, dans son état, dans cette boue, se remettre sur ses jambes ? Mais surtout à quoi bon ? Même plus jeune, même gamin, les parois verticales et visqueuses, il n’en serait pas venu à bout. La fin. La lutte finale. Finalement perdue pour les perdants. La lutte finale. La dernière ligne droite. Juste après la corde. Suffit de tenir bon, pour atteindre la ligne. Pas sûr de terminer premier, mais sûr de terminer.

Battements sourds ; loin ; à peine audibles ; peut-être même qu’il se trompe ; une illusion ; ou le sang dans ses tympans ; non, le bruit grandit, se rapproche ; pas de doute, une patrouille ; on entend même des voix ; il ne distingue pas ce qu’elles disent, mais ce sont des voix ; une chance ? Il essaye de crier, d’appeler ; mais il est déjà trop faible ; incapable de produire aucun son ; à peine un grognement, qu’on ne pourra pas entendre ; il essaye, il se force ; c’est seulement une question de volonté !

– Quand on veut, on peut !

Il veut. Mais il ne peut rien. C’était un mensonge.

Pas cadencé ; des soldats ; une patrouille ; une patrouille musulmane ; seuls les musulmans peuvent ainsi aller au pas cadencé, au vu et su de tout le monde ; peut-être une patrouille à sa recherche ; s’ils le trouvent, ils l’arrachent au fossé et ils le fusillent ; ou le fusillent-ils sans même le sortir du fossé ; la fin du froid et de la souffrance ; une mort presque héroïque ; lui tout seul, debout, contre tous, qui les défie, défiant sa propre mort ; bon, debout, c’est une image ; à genoux dans la boue ; pas si mal que ça, après tout ; à genoux, certes, mais faisant face, la tête haute, seul contre tous ; gibier forcé, épuisé, défiant la meute ; aucune chance pour le gibier ; sinon celle de faire preuve de lâcheté ou de noblesse ; mais l’animal forcé ne fait jamais preuve de lâcheté ; sanglier, cerf, chevreuil, ou n’importe quoi d’autre, tous, à l’ultime moment, ils restent debout, aussi longtemps qu’il leur reste des forces ; les chiens déchirent les chairs, le sang coule ; mais les efforts des chiens ne sont pas très efficaces ; pour en finir enfin, la dague acérée du veneur ; le coup de grâce ; la grâce de l’ultime ; tous, comme le taureau dans l’arène, juste au bout de l’épée ; le grand chant de la bravoure animale ; et lui, comme les autres gibiers, même à genoux, même dans la boue. 

Mais il faut se méfier d’eux ; ils sont tout autant capables de le laisser pourrir dans son fossé ; une patrouille pour rien ; ils ne l’entendront pas ; le verront-ils ? S’ils le cherchent, ils jetteront peut-être un œil dans le fossé ; s’ils le cherchent. Mais même s’ils le cherchent, auront-ils l’idée d’ausculter le fossé ?

Il se demande ce qu’il se souhaite. Quand le pire est atteint, plus rien ne peut être pire. Ce qu’il y a de bien quand le pire est atteint, c’est de n’avoir plus rien à craindre. Pourtant, on craint quand même ; par réflexe, sans doute. Ou par habitude.

Il a froid, il a de plus en plus mal aux jambes, mais il n’a pas peur ; la peur est mauvaise conseillère ; mais il n’a plus besoin de conseil ; les jeux sont faits ; perdu, gagné, perdu ; perdu de toute façon ; c’est la règle du jeu ; le monde, un grand casino au sein duquel s’agitent de naïfs imbéciles qui s’imaginent qu’ils pourraient gagner ; le plus grand nombre perd tout de suite ; si tout le monde perdait, il n’y aurait plus de joueurs ; on fait donc semblant d’en laisser gagner quelques-uns ; les autres se disent : si celui-là a gagné cette fois-ci, cela pourrait être moi, une prochaine fois ; et tout le monde recommence à jouer ; ceux qui ont gagné, tout comme ceux qui ont perdu ; ceux qui ont gagné, parce qu’ils ont gagné ; ceux qui ont perdu, parce qu’ils ont perdu ; pourtant le calcul est vite fait ; à la fin tout le monde perd ; à la fin, comme à chaque fois, c’est le casino qui gagne ; l’humain contre le casino ; l’humain contre le ciel ; aucune chance pour l’humain ; de toute façon, c’est le casino qui choisit la règle du jeu ; le casino, juge et partie ; à la fin, tout le monde a perdu, et seul demeure le casino ; les jeux sont faits, rien ne va plus, la roue tourne, en vain, sous des masques d’impassibilité, seuls les croupiers rigolent, complices et partisans ; les videurs vident ceux qui se rebiffent ; des professionnelles s’asseyent sur les genoux fébriles des gagnants du jour et des serveuses en jupes courtes proposent des boissons payantes à tout le monde ; tout le monde paye, ceux qui gagnent payent plus facilement que ceux qui perdent, mais finalement, tout le monde passe à la caisse, comme en enfer. Puis c’est l’heure de la fermeture ; les croupiers brûlent les tables, seuls restent quelques humains de ménage, et encore, pas si longtemps que cela ; les humains de ménage s’exécutent, trois petits tours et puis s’en vont ; on descend le rideau, on éteint les lumières, les veilleurs de nuit guettent le jour ; les professionnelles, masques sanitaires sur le nez, partent au bras des gagnants du jour, masques sanitaires sur le nez, en direction des hôtels de luxe de la ville, qui exigent, même la nuit, des passes sanitaires à jour ; les perdants calculent le montant de leurs pertes ; ceux auxquels il reste un peu de monnaie, louent des cordes et des lampadaires pour aller s’y pendre ; les autres se jettent sous les autobus, s’il en circule encore à cette heure avancée de la nuit, ce qui n’est pas toujours le cas, et qui est d’ailleurs scandaleux, car tout le monde n’est pas assez aisé pour se jeter sous un taxi ou même un véhicule particulier ; les croupiers retrouvent les ouvreuses, les serveuses et les dames pipi au fond d’appartements insalubres où les uns et les autres vont croupir ensemble, en attendant le soir du prochain jour, où tous ensemble, ils reviendront, bras dessus, mains dessous, croupir au casino, la roue tourne, tourne, tourne, au pas cadencé du destin, à présent tout proche du fossé.

Pile ou face. Pile, le destin ne s’arrête pas ; il continue seul, au fond de son fossé ; face, le destin s’arrête, il est découvert, on le fusille ; ou on le pend ; ou on le laisse pourrir dans son fossé ; non, on l’égorge ; égorger, c’est le truc préféré des musulmans ; un bon musulman, ça ne renonce pas au plaisir d’un petit égorgement ; pile, il perd et face, il perd aussi ; comme au casino ; le destin va-t-il s’arrêter au bord de son fossé ? Insupportable incertitude ; s’il pouvait crier, il crierait, pour obliger le destin à choisir ; mais il est déjà, un petit peu, beaucoup, hors course ; la partie se joue, mais comme en dehors de lui ; spectateur impuissant de son propre destin ; les faits sont là ; personne n’a jamais quitté vivant sa croix ; personne ne s’échappe vivant de son fossé intime.

Quand il était petit, il tombait déjà dans des fossés. Des fossés moins profonds, c’est vrai ; mais comme il était plus petit qu’aujourd’hui, cela revenait au même ; ou presque. Il était plus malin. Il s’en sortait. Mais dans quel état ! Les vêtements n’étaient pas seulement repoussants de saleté, ils étaient souvent déchirés, parfois de manière irréparable ; et lui-même n’était pas seulement repoussant de saleté, il était écorché, un peu partout ; une fois même, il avait eu le bras cassé ; comme il se faisait gronder chaque fois qu’il revenait d’un fossé, pour ne pas aggraver la situation, il avait commencé par ne rien dire ; il n’avait rien dit, mais il avait souffert toute la nuit ; au matin, son bras avait tellement enflé qu’il n’avait pu le cacher ; on l’avait emmené à l’hôpital. L’avantage qu’il y a à tomber dans un fossé en étant vieux, c’est qu’a priori, il ne reste plus assez de survivants pour vous gronder. De toute façon, désormais, les hôpitaux sont vides, désertés par les soignants qui refusent qu’on les vaccine, trop bien placés qu’ils sont pour savoir ce qu’il pourrait leur en coûter. Il ne sortira certainement pas vivant du fossé, mais au moins, il ne craint plus de se faire gronder.

Changement de décor. Le bruit des pas cadencés de la patrouille a comme atteint un palier de puissance. Ils sont tout proches, à présent. En fait, sans doute juste au-dessus de lui. Il sent presque la terre frémir, effrayée, à chacun de leur pas. S’il le pouvait, il crierait. Est-ce qu’il crierait vraiment, s’il le pouvait ? Difficile d’être sûr. Mais peu importe. Il n’a plus de voix ; il n’a plus grand-chose d’ailleurs, mais surtout, plus de voix ; il ne crie pas ; il attend ; le bruit des pas cadencés commence de régresser, la terre frémit, mais de moins en moins ; c’est gagné, c’est perdu, la patrouille a commencé sa manœuvre d’éloignement.

Une impasse. La vérité est qu’avec cette histoire de fuite, de chute et de fossé, on est dans une impasse. Il ne peut plus rien se passer. La fin de l’histoire, le bout de rouleau.

Et puis la patrouille a passé son chemin. Le bruit cadencé des pas cadencés a cessé de gagner en intensité. Juste à sa hauteur, juste au-dessus de lui. Le bruit cadencé des pas cadencés a commencé de diminuer. Le pire est passé. Qui paye ces gars-là ? Ceux des chrétiens qui se sont soumis ? Ou ceux des Juifs qui se sont soumis ? Ou tous les autres qui se sont soumis ? Qu’importe après tout ? Tous, tous ils payent. Ils payent pour qu’on les laisse en paix, ils payent parce qu’ils ont peur, ils payent parce qu’ils sont lâches. Et certains, beaucoup, le plus grand nombre peut-être, ils payent, parce qu’ils sont contents de payer. Difficile à comprendre, mais c’est ainsi. Ils payent parce qu’ils sont contents de payer. Ils ne sont pas seulement lâches ; ils sont bien dans leur lâcheté. Tout ça pour rien : ils payent pour des nuls ! Des gars même pas capables de retrouver un vieillard au fond du fossé.

– On ne l’a pas trouvé ! On a marché, marché partout, mais on ne l’a pas trouvé.

– Nuls ! On devrait vous trancher la gorge à tous, autant que vous êtes.

– Écoutez, Chef, qu’est-ce que ça peut faire qu’on ne le trouve pas ? Il est vieux, il est tout seul, et personne pour l’aider. Qu’on le trouve ou pas, il est fichu.

– Vous ne comprenez rien ! On ne peut pas le laisser s’enfuir ! On ne peut même pas le laisser mourir ! C’est une question de symbole.

– On les a tous vaincus, écrasés ! Ceux qui ne sont pas morts, ils se sont rendus ! Ils ont supplié qu’on les épargne ! Ils n’ont pas accepté de se faire vacciner, ils se sont battus pour se faire vacciner. Ils n’ont pas accepté de se convertir, ils se sont bousculés pour se convertir. Qu’est-ce que ça peut faire ce vieux qui résiste ! Il est le seul, il est le dernier ! il ne se survivra pas !

– C’est exactement pour cela que nous devons le retrouver ! Il est le dernier survivant ! Le dernier témoin ! Il nous le faut absolument.

– Qu’est-ce qu’on en fera si on le retrouve ?

– C’est un chrétien, n’est-ce pas ?

– C’est un chrétien ! Il s’est vanté d’être chrétien. Chrétien non pratiquant, mais chrétien tout de même.

– Ce qu’il y a de pire. Mais puisque c’est un chrétien, nous le ferons mourir en chrétien.

– ?

– Nous le crucifierons.

-Le crucifier ! Même pour cela, on aura de la peine. Des clous, oui, des clous, on pourra sans doute en trouver. Mais des poutres, est-ce qu’on trouvera encore des poutres pour faire une croix ?

-On brûle une église, et hop, on a de nouveau toutes les poutres qu’il faut ! On brûle une église, et hop, le pape dit que c’est très bien.

Finalement, non, ils ne l’ont pas crucifié. Et l’histoire a continué, malgré eux, malgré lui, au gré de son destin martyre et de la boue du fossé. Une façon de se défausser, diront les méchantes langues. Mais si l’on commence à écouter les méchantes langues…

Bormes les mimosas, janvier 2023

1 Commentaire

  1. Luc Ladonne

    Tellement réaliste, cruellement vrai.

    Réponse

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