Il fait chaud. Trop ? Oui, trop peut-être.
Une grande table, pour dix ou douze personnes. Mais aujourd’hui, seulement deux convives. Des convives ? Des clients ? Des consommateurs ? La table est comme la place, comme la ville, comme le monde, vide, désespérément vide ! En dehors des deux hommes attablés, personne, ni serveur, ni policier, ni prêtre.
Les deux hommes attablés, à ce point différents, qu’on se demande ce qu’ils peuvent bien faire sur le même bateau. Le premier, cheveu plutôt long, barbe plutôt courte, comme une trentaine plutôt médiocre ; boucle d’oreille ; une. Un homme contemporain tellement ordinaire que c’est à se demander s’il s’agit réellement d’une personne ou de sa caricature.
En face de lui, un personnage sans visage, sans âge, plutôt petit, dangereusement mince.

Les 2 hommes également plongés dans leur boîte rectangulaire portable, chacun la sienne. Soudain, le plus jeune interrompt sa lecture, déclarant (ce qui interrompt aussi la lecture du moins jeune) :
– Parfois, je ne comprends pas du tout notre président !
– Pardon ! J’ai un trou de mémoire ! Rappelez-moi combien de fois vous avez voté pour lui ?
– Là n’est pas la question ! Je voterai encore et toujours pour lui, quand l’occasion m’en sera donnée.
– Rassurant !
– Mon souci est le suivant : pourquoi prendre tant de peine à vouloir combattre une rumeur ridicule ?
– Qu’eussiez-vous préféré qu’il fît ?
– Royal mépris, royale ignorance. Une rumeur ignorée s’étouffe toute seule en quelques semaines, sinon quelques jours. Prétendre la combattre, c’est comme de souffler sur des braises. D’autant qu’ici, la rumeur est proprement ridicule, aucune preuve tangible.
– Aucune preuve non plus que ladite rumeur soit sans fondement, ce qui à tout prendre est bien le plus étonnant.

– Ce n’est pas aux personnes diffamées d’apporter la preuve qu’on les a diffamées. Mais je réitère : le plus efficace, selon moi, eût été la plus méprisante ignorance. Mitterrand, par exemple, a été diffamé comme personne. Montaldo, l’auteur de Mitterrand et les quarante voleurs[1], a très vite été oublié de tout le monde. Mitterrand n’est oublié de personne. Silence et mépris valent mieux que tous les procès.
– Un train peut en cacher un autre, une femme peut cacher un homme : une rumeur peut en cacher une autre ! Quand tout le monde s’indigne du doigt pointé vers la lune, la lune, plus personne ne la voit.
– Une autre rumeur, quelle rumeur ?
– Vous ne voyez vraiment pas ?
– Pas vraiment, pas du tout !
– Il vous suffit d’attendre.
– Attendre ?

– Oui, le deuxième train, celui caché par le premier. Parfois, pas de second train. Mais s’il en existe un, d’une façon ou d’une autre, vous ne pouvez pas le manquer !
– En ce cas…
Sur ces mots, chacun retourne à sa boîte rectangulaire portable, et la conversation cesse faute d’interlocuteurs.
vendredi 1er août 2025
[1] https://www.amazon.fr/Mitterrand-quarante-voleurs-Jean-Montaldo/dp/222606995X
Percutant! 😋
Merci pour cet encouragment !