/Opinions eclairées

21 juillet 2014

Respectons les guenons !

Neuf mois de prison pour avoir comparé un ministre et une guenon. Certains jubilent, d’autres s’indignent. Mais je ne vois personne demander leur avis aux guenons !

Voilà, c’est fait : délits contre biens et personnes de moins en moins condamnés, mais comparer ministre et guenon, c’est neuf mois en prison, et 50 000 euros d’amende. On ne voit d’ailleurs pas bien la cohérence : comment une personne derrière les barreaux sera-t-elle en mesure de réunir ou de gagner une telle somme ? Une volonté d’anéantir ? La question se pose quand on songe à ce que sont nos prisons.

La sanction compte ses partisans : la comparaison serait une injure à caractère raciste (j’y reviendrai), et, défendent ces gens-là, il faut étouffer les injures racistes, sous peine de voir se reproduire « les heures sombres de notre histoire », qui d’ailleurs se reproduisent de plus en plus souvent, avec non seulement des injures, mais aussi des agressions typiquement racistes, mais au sujet desquelles les mêmes ne trouvent rien à redire.

Voilà qui illustre ce que je défendais dans un précédent billet : il est tout de même moins dangereux de dénoncer les crimes nazis quand il n’y a plus de nazis, ou de mettre en prison une jeune femme qui publie des sottises, que de s’en prendre aux manifestants qui hurlent des injures racistes et tentent d’agresser des synagogues, quand ces manifestants font en effet cela, aujourd’hui, et à notre porte.

D’autres crient à l’injustice. « Les magistrats jugent en droit, c’est-à-dire qu’ils ne jugent pas selon leur fantaisie, ils jugent selon le Code pénal. » Les mots mêmes de la ministre. Qui a parfaitement raison. Et c’est précisément là (selon moi), tout le problème.

De même que je soulignais que le traitement infligé à Monsieur Sarkozy n’était pas choquant parce qu’il était infligé à Monsieur Sarkozy, mais parce qu’il pouvait être, et qu’il était appliqué à n’importe quel citoyen, je dis que le problème est précisément que notre Code pénal ait prévu une sanction aussi lourde pour une faute aussi stupide.

Et il ne s’agit pas là d’une exception : parcourir le Code, c’est se trouver sidéré de son potentiel de sévérité. En réalité, le chef d’entreprise, le médecin, le maire, le responsable d’une association, l’architecte et le maître d’œuvre, l’automobiliste, le contribuable et finalement le simple citoyen, tous se trouvent beaucoup plus proches de la case incarcération qu’ils ne l’imaginent en général.

Hier, vous, moi, et le bon peuple en général ne nous en inquiétions pas outre mesure, confiants dans une magistrature compréhensive et bienveillante. Mais aujourd’hui, un certain mur est venu changer tout cela, et il est temps de s’apercevoir que l’extrême et insidieuse judiciarisation de notre société est attentatoire à notre liberté.

Attentatoire à notre liberté de ne plus avoir le droit de dire même des bêtises. Car il est difficile de comprendre en quoi le fait de traiter de guenon une ministre est un crime. La guenon, en langage populaire, c’est (selon le dictionnaire) une manière de désigner une femme laide. À l’égard de la ministre, une impolitesse, à coup sûr ; mais un crime ?

Vous m’objecterez qu’il fallait prendre le terme au sens propre : guenon, femelle du singe, mais là, l’amoureux des animaux que je suis s’insurge ! Les récentes découvertes démontrent que les patrimoines génétiques des hommes et des singes sont si proches, que c’est peut-être bien artificiellement que nous continuons de distinguer les uns des autres : les codes génétiques de l’homme et du chimpanzé diffèrent par exemple de moins d’un pour cent ! De ce point de vue, il est donc absolument certain que c’est une insulte immensément plus grave de comparer un ancien président à un pingouin, effectivement bien éloigné de notre espèce, que d’appeler singes des humains, singes que nous sommes tous en effet !

Mais n’opposons pas non plus singes et pingouins : les chercheurs le démontrent tous les jours, les uns et les autres, et beaucoup d’autres animaux savent faire preuve d’empathie, de pitié, de compassion, plus, à l’évidence que nous autres humains, tout prêts à envoyer, sans un murmure de commisération nos ennemis pourrir neuf mois durant derrière des barreaux.

Finalement, et objectivement, comparer un humain et animal est surtout… une insulte aux animaux… mais je ne poursuivrai pas au-delà, car je vois déjà s’entrebâiller les lourdes portes de la maison d’arrêt …

Paris, le 21 juillet 2014

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