La manière dont j’ai conduit le récit de mon roman « Chants libres ». donne à penser que je crois à l’antériorité de la société primitive, ici nomade, mais en réalité, je n’en sais rien ; en revanche le problème des hommes de « Chants libres » est bien celui du renoncement ou non à leur liberté.
Un autre regret est que le récit peut donner l’impression d’une nécessité de choix entre liberté et civilisation. Et c’est exactement l’un des mèmes parmi les plus solidement établis : la civilisation imposerait le sacrifice de la liberté individuelle et le partage actuel du monde en « états », aux pouvoirs systématiquement totalitaires, sans plus aucun espace réel de liberté, avec une formidable limitation de fait de la circulation libre, donne à ce mème une intense actualité. Notre société d’états a fini de rendre inconcevable le concept d’une société sans état.
Or les hommes de la tribu décrite dans Champs libres n’ont pas à résoudre la seule équation de leur liberté individuelle, ils ont à répondre à l’agression d’une tribu plus puissante (et que d’aucuns jugeront plus « évoluée ») que la leur. À cette agression, les « hommes de pouvoir » du groupe hésitent entre deux réponses : la résistance armée ou la soumission. Mais presque seul, un homme jeune, singulièrement déterminé, et parfaitement étranger à toute idée de pouvoir, reproche à cette alternative de ne pas prendre en compte la réalité morbide de l’ennemi, dont la puissance assise sur violence et agression, porte en elle les germes de sa propre destruction. Alors, pourquoi combattre un agresseur irrémédiablement condamné, pourquoi ne pas attendre plus ou moins patiemment que le destin s’accomplisse, se satisfaisant d’accompagner ce destin, quand l’occasion s’en présente ?
Bien entendu, la question se pose du conseil que nous donnerait aujourd’hui cet homme : Soljenitsine l’a magistralement démontré, tout pouvoir assis sur la violence doit se résoudre à vivre (et à mourir) par le mensonge. Mais comment concevoir un pouvoir d’état sans violence ? Selon cette conception, le pouvoir des états qui paraît à ce jour sans partage, n’a peut-être pas d’autre destin que celui d’une vaste implosion collective, redonnant à l’individu sa juste place anormalement dérobée, et c’est peut-être à l’aube de cela que nous assistons aujourd’hui.
Aujourd’hui, c’est certain, l’outil numérique semble donner aux états un potentiel de domination illimité. Mais si c’était un trompe-l’œil ?
16 février 2024
Je ne sais pas si c’est un trompe l’œil; mais je suis convaincue que trop de communication tue la communication, et donc que l’outil numérique a conduit à l’individualisme, favorisé le paraître, et profondément modifié la véritable nature des sociétés.
Une partie de la population est en spectacle Facebok permanent…