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22 novembre 2025

Les dialogues de la diagonale : L’état, un mal nécessaire, vraiment ?

Beaucoup l’admettent désormais : les états se soucient fort peu, voire pas du tout, du bonheur des peuples. Pour autant, une conviction bien établie est que, si les états sont un mal, ils sont cependant une nécessité : on ne pourrait imaginer une organisation sociale sans eux. Voyons cela !

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Le texte :


— Vous êtes revenus, à deux cette fois ?
— Un entretien particulier. Nous projetons une synthèse de vos opinions concernant nos politiques. 
— L’entretien s’achève immédiatement ; il n’a pas besoin de commencer. Je nourris une aversion pour tous les hommes politiques, de quelque bord qu’ils prétendent être. Le poisson pourrit par la tête et les pays par la gauche. Le problème est que les hommes politiques, même s’ils se disent de droite, parce qu’ils sont des hommes politiques, ont subi une empreinte, et cette empreinte est toujours de gauche. C’est comme cela, c’est congénital. 

— Vous pouvez penser ce que vous voulez, et que la politique est un mal. Mais si c’est un mal, c’est un mal nécessaire. Vous-même ne pouvez qu’en être d’accord, qui avez écrit, il n’y a pas si longtemps : « le problème est que nous sommes gouvernés par des individus à la fois pervers et incapables ! »
— J’ai écrit cela ?
— Cela semble vous étonner ? 
— Bien sûr. Cette phrase prête à confusion. Elle donne à penser que le problème serait la nature des hommes qui gouvernent. Le problème n’est pourtant pas là, mais dans le fait précisément que nous soyons gouvernés. 
— Gouvernés ! Il faut bien que nous le soyons ! Tous les peuples ont besoin d’être gouvernés !
– 0,02 %. 
— Que voulez-vous dire ? 
– 0,02 %. Au grand maximum. Le pourcentage du temps de soumission de notre espèce comparé à sa durée d’existence. Dit autrement, pendant 99,98 % de son temps d’existence, au minimum, notre espèce a vécu sans lois, ni maîtres !
— Il y avait bien des chefs, même dans les sociétés les plus primitives. 
— Des chefs, oui, mais pas de maîtres. Le chef parle, parle ; il parle mieux que les autres, c’est même pour cela qu’il est nommé chef. La plupart du temps, personne ne l’écoute. C’est même pour cela qu’il est chef. Mais le chef ne commande rien à personne. S’il essaye, il est chassé, ou plus sagement, mis à mort. 
— Les primitifs avaient des chefs de guerre. 
— Le chef de guerre chez les hommes libres n’impose sa guerre à personne : c’est librement que chacun décide de combattre ou non. Geronimo, l’auteur de l’une des plus grandes raclées infligée à l’armée américaine, n’a jamais pu rééditer son exploit, car plus tard, les Apaches, qui s’estimaient vengés des crimes américains, ont refusé de continuer de le suivre.

Geronimo voulait venger sa famille, mais c’était sa famille et c’était sa vengeance, ses camarades apaches ne marchaient plus. Lors de son ultime expédition, le valeureux guerrier n’était plus accompagné que de… deux compagnons (volontaires). Une expédition pour l’honneur, sans l’ombre d’une chance d’une ombre de succès.

La guerre gagnée ou perdue, le chef de guerre redevient un homme comme les autres.

Un million d’années, au moins, pour faire un cerveau humain. Le triple, au minimum, de notre existence. Le temps de soumission ne compte pour rien dans le temps de notre espèce. La vérité de notre espèce n’est pas la soumission. L’état de soumission est un viol de notre nature.
— Chez nous, comme chez la plupart des espèces sociales, on observe des dominants et des dominés !

— Non ! Comme il est brillamment rappelé dans l’ouvrage, « Le comportement dans tous ses états », cela fait presque un siècle que l’on sait que le comportement de dominance n’existe tout simplement pas et rapporte notamment les travaux de Irenäus Eibl-Eibesfeldt, éthologue, qui a montré que ce qui existe en effet, ce sont des unités structurales de comportement; fonctionnellement, les comportements d’agression forment, avec ceux de soumission ou de fuite, une même unité structurale. Dominer ou être dominé, sont les deux facettes d’un comportement identique, les plus farouches dominants ont tout ce qu’il faut, quand les circonstances l’ordonnent, pour devenir les plus pleutres des dominés, et quant aux soi-disant dominés, ne nous en laissons pas compter, ils feront, s’ils le peuvent, les plus tyranniques des tyrans.

— Soit. Mais revenons à votre chiffre ! 99,98 %, on pourrait peut-être contester votre pourcentage. Mais même si vous avez raison, 99,98 % pour une humanité primitive, balbutiante. Le progrès ne se conçoit pas sans états et donc sans hommes d’état. « Les humains ne peuvent se soustraire à l’inégalité, qui est partie intégrante de l’inné et qui les divise entre meneurs et menés. » Signé : le fondateur de la psychanalyse.  
— Non ! Partout dans le monde, des minorités héréditaires ou quasi, écrasent sans complexes des majorités que l’on persuade que cet étrange partage du pouvoir n’a d’autre fin que leur bien-être, dirigeants et dirigés nourris au lait d’un scientisme que l’on sait aujourd’hui proprement imbécile, et parfaitement mensonger.

La vérité est que, non, l’humanité ne se partage pas entre dirigeants et dirigés, dominants et dominés, parce que cela aurait une origine génétique ou biologique, mais seulement parce que les uns ont dérobé une part de la liberté des autres, et que ces derniers se sont laissé persuader que cela valait mieux pour tous.

Les usurpateurs devraient prendre garde cependant : partout, les moyens modernes d’information ouvrent les yeux des peuples et font jaillir la vérité ! Les états n’apportent ni progrès ni bonheur, ils sont au contraire la source de tous les malheurs, et ne servent qu’une seule classe, celle des hommes d’état ! Pour les autres humains, la vérité est aveuglante, moins il y a d’état, plus il y a de chances de bonheur pour le plus grand nombre ! Une société sans état, plus un mythe, mais un objectif désormais raisonnable. L’information contre l’état, les hommes de l’état en ont parfaitement conscience, et la preuve : faute de la contraindre, ils partagent le même rêve, celui de la museler !  

Michel Georgel


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4 Commentaires

  1. Dominique Mandereau

    Voici qui donne à penser! Et j’aime beaucoup la forme de cet écrit !

    Réponse
    • Michel Georgel

      Merci pour cet encouragement.

      Réponse
    • Philippe Mellet

      Peut-être que les hommes primitifs n’avaient pas besoin d’état et de gouvernants … je doute.
      Mais restons-en à notre monde d’aujourd’hui.
      L’absence de dirigeant, à tout niveau, ne permettrait pas la vie en commun. Une école sans enseignants qui dirigent, une école sans directeur qui dirige, une ville sans maire qui dirige, etc… tout cela est inconcevable, à commencer par les parents vis à vis de leurs enfants.
      Un monde aux humains si différents de langue et de culture, aux besoins si différents, laisserait chacun à la loi du plus fort, l’homme n’étant pas totalement bon, mais chacun ayant sa part sombre.
      Les États sont une nécessité pour régir en des lieux particuliers et spécifiques une humanité à laquelle il est bon de donner un espace de vie commun.
      La question principale est celle de la capacité des dirigeants à agir pour le bien commun. Mais simultanément, chaque citoyen doit agir en fonction du bien commun.
      Nous devons donc vivre avec des dirigeants qui ne sont pas tous de qualité. Mais, cela dépend également de la qualité de chaque citoyen.
      En résumé, notre monde est trop grand pour qu’il n’y ait qu’un État, il en faut donc plusieurs. Les hommes ont besoin ce cadres et de règles pour vivre ensemble, donc également de dirigeants.
      Peut-être que nos dirigeants ne devraient pas oublier que, dans leur situation, il leur faut plus de vertus : plus on a de pouvoirs, plus on doit être vertueux !
      Amitiés.

      Réponse
      • Michel Georgel

        Merci et bravo pour ce commentaire argumenté ;
        Deux. Petites remarques à chaud, cependant :
        Concernant le fait que les hommes primitifs n’avaient pas de chef, les témoignages sont trop nombreux, issus de trop d’anthropologues, ayant observé des peuples sur quasiment toute la planète, pour ne pas considérer ce que ces témoignages peuvent avoir de pertinent.
        Concernant la question des hommes, il y a plus de cinquante ans, Pierre Clastres l’a magnifiquement démontré : « Il me semble que loin que l’État soit l’instrument de domination d’une classe, donc ce qui vient après une division antérieure de la société, c’est au contraire l’État qui engendre les classes. »
        Pour le reste, il est vrai que le ronchonneur des dialogues ne démontre pas assez ses autres affirmations, mais les sujets évoqués sont vastes, et je plaide pour lui un délai de réflexion. Mais encore une fois, bravo pour cette argumentation !
        Michel Georgel

        Réponse

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