Je te demande, Dieu

Je te demande pourquoi Tu m’as donné ce don

Puisque Tu ne m’as jamais donné la chance de le pouvoir exprimer 

Pourquoi ? Pourquoi ?

J’ai seulement souffert, tellement souffert

Pour rien.

J’ai toujours su que je pouvais dire,

Mais pour quoi faire ?

Tu ne m’as jamais donné l’occasion de dire !

Même une petite fois, même une toute petite fois

Mieux, Tu as toujours tout organisé, pour que je ne puisse pas dire

Il est bien tard, maintenant, mon Dieu

Il est beaucoup trop tard

Je vais mourir, mon Dieu, et je resterai la voix muette

L’auteur sans lecteur

L’écrivain sans livres

Le chanteur sans paroles

Le musicien sans instrument

Je garde mon âme en jachère

Je voulais parler, je voulais crier

Je voulais chanter le chant infini de la beauté sacrée

Je voulais faire vibrer toute la beauté du monde

Hurler les symphonies qui brûlent mes insomnies

La fureur de mes tempêtes

Les pluies et les larmes de mes chagrins

Mais j’ai compté les nombres

J’ai seulement compté les nombres

Les nombres, les vilains nombres

Toute ma vie, j’ai compté, j’ai pleuré les nombres

J’ai mesuré toute la longueur de la laideur des nombres

J’ai vomi les nombres sur les grilles de mon désespoir

Mais je n’ai jamais pu leur échapper

Toute ma vie, j’ai dit demain, j’ai pensé demain

Demain, je cesserai de compter les nombres

Demain, je galoperai les rêves de mes rêves

Demain, demain

Il est trop tard à présent

Il n’y aura jamais de demain

Demain je serai mort