De façon directe ou indirecte, parfois pour s’en vanter, souvent pour accroître son aspect menaçant, notre État ne nous le cache plus : désormais, il sait tout de nous ! De puissants systèmes d’intelligence artificielle savent croiser tous les fichiers disponibles, et le moindre transfert d’argent, la plus petite location de son appartement, même pour quelques nuits, le moindre achat, la moindre vente, le fisc le sait aussitôt, et se rend compte, à l’instant même où elle se produit, de la moindre « anomalie ».
Et c’est tous les jours, à tout instant, que les différents fonctionnaires de l’État sont en mesure de croiser toutes les informations qui nous concernent. Il y a déjà bien longtemps que le gendarme qui vous arrête sur la route et vous demande votre permis de conduire et la carte grise de votre véhicule, a connaissance ensuite, en quelques secondes, de l’état de vos points, et du nom du propriétaire du véhicule que vous conduisez. Sait-il de quand date son dernier entretien et quel garage s’en est chargé ? Peut-être pas encore, mais cela pourrait venir.
Bon, c’est ainsi, et il se trouvera une importante minorité de nos concitoyens pour se réjouir d’une telle situation. Et après tout, nous pourrions nous aussi en prendre plus ou moins notre parti, si de cette espionnite généralisée, nous pouvions, au moins un peu, bénéficier de quelques effets positifs.
Par exemple, une simplification de nos démarches administratives ordinaires.
Puisque l’État sait tout, pour bon nombre d’entre elles, quelques clics devraient en effet suffire.
Est-ce vraiment le cas ?
Dans le but d’élargir le champ potentiel de lecteurs de mes romans ou de mes livres professionnels, nous avons décidé, mon épouse et moi-même, au moins pendant les mois où nous sommes en France, de nous déplacer… Pour donner un profil économique viable au projet, nous avons fait l’acquisition d’une petite caravane d’occasion…
Je dis « nous », mais ce n’est qu’en partie vrai : ma femme ne s’opposait pas au projet, mais émettait une condition suspensive : « Tu t’occupes des démarches administratives, je ne veux tout simplement pas en entendre parler… »
Malgré une incompétence notoire, entretenue largement par une longue vie conjugale, au cours de laquelle, c’est vrai, les questions administratives m’ont en général été épargnées, et pour emporter la décision, j’ai promis…
Pour tout dire, je croyais jouer au plus malin : j’avais lu quelque part qu’un changement de carte grise ne nécessitait même plus de déplacement et qu’on pouvait tout faire depuis son ordinateur…
Me voilà donc parti à la chasse aux changements de carte grise de ma caravane d’occasion… Première surprise, on ne trouve pas un site pour régler ce sujet, mais un assez grand nombre d’adresses, qui toutes s’affichent plus officielles les unes que les autres… Je n’ai pas vérifié, mais je pense très fortement qu’il s’agit d’officines privées qui ont trouvé un moyen de s’enrichir par une nouvelle sorte de capitalisme de connivence. En effet, après en avoir essayé plusieurs, j’ai dû me rendre à l’évidence, si l’on voulait continuer d’avancer, il fallait commencer par payer… Dans le cas d’un changement, un peu plus de 110 €…
Certes, je le confesse volontiers, je ne suis pas un as des arcanes de l’Internet, et mes enfants et surtout mes petits-enfants se débrouillent beaucoup mieux que moi… mais il m’a fallu tout de même presque une paire d’heures pour remplir toutes les pages et toutes les informations exigées…
Et puis clic, cette fois, nous y sommes et je suis très fier de moi…
Quand je tombe sur une dernière page qui me liste une dizaine de documents que je dois impérativement rassembler et adresser en courrier recommandé… Des originaux de la carte grise et des copies couleur de tous les autres documents… Autrefois, il fallait se rendre au service de cartes grises, et faire la queue… Quel progrès ! Après avoir rassemblé sans doute les mêmes documents que du temps « qu’on allait encore aux baleines », on finit par faire la queue au service courrier recommandé de la poste… J’habite dans la ville enchantée de madame Hidalgo, il est inutile d’espérer quelque place de parking entre mon domicile et la poste, il n’y en a tout simplement pas, et la seule solution est donc de s’y rendre à pied…
En tout, une démarche qui m’a donc pris une demi-journée…
Évidemment, la marche à pied a ceci de bien qu’elle permet de réfléchir. Tout en allant, tout en revenant, je me demandais : l’État sachant tout de moi, à quoi peuvent servir la copie mon permis de conduire, des justificatifs de domicile, l’original d’une carte grise qu’il connaît parfaitement, et je ne sais plus quoi encore… La seule information qu’il n’a pas est celle de la cession. Un simple scan de la carte grise barrée par l’ancien propriétaire, avec la date de cession suffirait…
Alors à quoi bon ces exigences ? C’est une question de bon sens : à rien, sinon à maintenir le citoyen dans une situation de sujétion. Le progrès informatique de l’administration peut se résumer ainsi : tu payes nettement plus cher, mais tu es toujours autant embêté…
Petit détail : après bientôt presque un mois, aucune nouvelle de mon fournisseur, sinon qu’en effet, mon compte bancaire a bien été débité…
Question iconoclaste : que sont devenus les fonctionnaires désormais remplacés par des organismes « privés » ? Ou ils ne font plus rien, ou ils font autre chose, mais ce qui reste sûr, c’est qu’ils sont toujours aussi nombreux, et nous coûtent toujours aussi cher…
Alors, simplification administrative pour tous ? Vous avez le droit d’y croire, mais j’ai bien peur que tous autant que nous sommes, nous restionsnon seulement les financeurs, mais aussi les dindons de la farce…
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