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24 mars 2020

Coronavirus : le pavé et le filet à papillons

Je me suis souvent demandé, à propos de mes articles, mais aussi de mes autres écrits, de mes livres, par exemple, comment je pouvais avoir encore des amis, des relations, y compris familiales.

Bon, je fais semblant, mais je ne me fais guère d’illusions. Tout simplement, mes relations, y compris familiales, ne lisent rien ce que j’écris. Ça ne les intéresse pas. Et donc elles ne savent pas. Quant à converser paisiblement, le seul moyen : n’aborder jamais les sujets qui fâchent.

Ce que je fais. Mais parfois, j’enrage. C’est même pour cela que j’écris, des billets comme celui-ci, ou mes autres écrits, mes livres…

Chacun le sait : on peut prendre un pavé pour tuer une mouche. D’un certain côté, les mauvais esprits vous diront que ça ne marche pas, et que la mouche s’est envolée.

Un exemple flagrant de mauvaise foi. Si ça ne marche pas, c’est certainement que le pavé n’était pas assez gros. Ou alors, qu’il aurait fallu utiliser non pas un, mais plusieurs pavés. Avec beaucoup de pavés, et un tout petit peu de chance, ou de malchance, du point de vue de la mouche, on aurait fini par avoir raison… de la mouche, précisément !

Il y a une preuve très simple de la mauvaise foi des détracteurs de la technique du pavé, c’est la tête que fait le mur après élimination de la mouche : immanquablement, ce dernier se trouve complètement démoli, irrécupérable, impossible même à reconstruire.

Finalement, la morale de cette histoire pourrait être : « qu’importe la mouche, pourvu qu’on ait cassé le mur ! »

À l’opposé de la technique du pavé, celle des chasseurs de papillons. Pas de pavé pour la chasse aux papillons, mais un simple filet, parfaitement inoffensif. Inoffensif pour le décor : allez-vous-en abîmer quoi que ce soit avec un filet à papillons !

Inoffensif également pour les papillons eux-mêmes, qui se trouvent faits prisonniers, avec un minimum d’égratignures. Le chasseur conduit les papillons capturés chez lui, les isole, et les traite individuellement de la meilleure manière qu’il puisse imaginer.

Les manières dont les pays chassent le Corona virus : c’est au choix, le pavé ou le filet à papillons.

Du côté des filets : on traque le virus, on le capture, en isolant son environnement, c’est-à-dire son porteur, auquel on peut en outre apporter tous les soins qui pourraient s’avérer nécessaires. On laisse vaquer à leurs occupations toutes les autres personnes : aucun ralentissement économique. On ferme cependant les portes de la maison, c’est-à-dire les frontières du pays, ce qui limite grandement, à l’évidence, les entrées de virus, que celui-ci ait des papiers en règle ou qu’il soit clandestin.

Minable ! Aucun effet de masse ! On soigne les (rares) malades, on a si peu de morts que c’est à peine si l’on ose en parler. Typiquement le genre de méthodes retenues dans ces ambiances délétères que sont les démocraties.

À l’opposé, les partisans du pavé. Les mouches, que l’on ne chasse pas, continuent de proliférer gaillardement, sans entrave aucune. Les porteurs de mouches, que personne n’a cherché à identifier, ne sont pas identifiés, ils contaminent tout le monde autour d’eux, sauf s’ils tombent à leur tour vraiment très malades. Ce qui est d’ailleurs assez stupide de leur part, puisque de toute façon, on n’a pas de lits pour les soigner.

Le pavé, donc, la méthode des vrais gouvernements, les gouvernements à poigne. Communistes, islamistes, Chine, ou Iran, la perfection. Juste un peu en dessous, mais pas tellement finalement, les socialistes. Espagne, Italie, France… Dans tous les cas, on ne parle pas de pavé, mais de confinement.

Ça, c’est le confinement en général. Mais il existe une variante du confinement, c’est le confinement « à la fançaise ». Dans ce système, n’est confinée qu’une partie de la population. Pour cette partie, confinement intraitable, non mais ! Amendes, menaces… Mais sont laissées grandes ouvertes les portes de la maison, c’est-à-dire les frontières. Et des étages entiers de la maison ne sont pas non plus confinés : les « quartiers difficiles », où le virus circule en toute liberté.

Cela dit, en France au moins, le pavé du confinement, finalement, ça n’a pas été si difficile que cela à imposer. Tout au contraire. Aux salariés, on a expliqué qu’ils devaient rester chez eux et continueraient d’être payés : être payé à ne rien faire, même à domicile, il y a pire !

Aux entreprises, on a fait savoir qu’il n’y avait plus que des lendemains qui chantent ! L’État prenait tout à charge, les salaires, les impôts, les dettes, les emprunts, les soucis… Disons-le nettement, il régnait mardi dernier chez les uns et les autres comme un petit air de mois d’août…

Aux entrepreneurs de mes relations, qui s’étaient hâté vers les délices du chômage technique, j’essayais timidement de glisser qu’il se pourrait peut-être que l’État ne se trouve pas en mesure d’honorer ses promesses… Aussitôt brutalement rabroué, j’ai vite compris que je faisais mieux de me taire.

C’est pourtant une évidence : notre si généreuse Unedic est conçue pour permettre l’indemnisation de quelques rares chômeurs grâce aux cotisations d’une majorité de travailleurs. Une majorité de chômeurs et quelques rares travailleurs, ça ne va pas pouvoir fonctionner !

Le pouvoir l’a d’ailleurs déjà susurré ici ou là, le chômage partiel pour tous, bon, ce n’était pas réellement à prendre à la lettre… Ah bon ?

Celui à qui on interdit de donner son avis, il ne peut plus qu’écouter. J’ai donc écouté. Oh, je vous rassure, confinement oblige, uniquement des conversations téléphoniques, cela va de soi.

« Les spécialistes sont formels ! Si on ne fait rien, si on ne confine pas, c’est au moins 40 000 morts qu’il nous faudra enterrer. »

Téléphone : je ne pouvais donc pas voir le visage de l’interlocuteur et donc deviner s’il voulait plaisanter. Mais au contexte, j’ai cru comprendre que non, il ne plaisantait pas du tout, 40 000 morts, il pensait que cela nécessitait indiscutablement de pousser à une ruine quasi certaine 60 millions d’habitants, dont lui-même.

40 000 morts, cela correspondrait à une augmentation de… 6,67 % de la mortalité sur une année. Mais en fait, beaucoup moins, car on observerait une diminution concomitante d’autres mortalités. La mortalité d’une année en serait-elle réellement augmentée ? Même pas sûr.

Bon, mon avis sur une question médicale, aucun intérêt. Par contre, l’entrepreneur que je suis ne comprend pas. Combien d’entreprises seront en mesure de supporter un mois d’inactivité ? Voir deux ? Qu’on cesse de nous raconter des salades : deux mois sans travailler, c’est 16 % de chiffre d’affaires en moins. « Les banques vont vous prêter tout l’argent qui va vous manquer ! »

Des prêts maintenant, donc des remboursements demain. Le poids de l’état fait que la plupart d’entre nous étions déjà, au mieux, en équilibre délicat. Comment pourrions-nous ajouter à nos comptes d’exploitation la charge du remboursement de l’équivalent de 16 % de notre chiffre d’affaires habituel ? Prenez le problème pour le côté que vous voudrez, pour l’immense majorité des PME, mission impossible. Surtout si l’on ajoute à cela un marché à prévoir profondément déprimé et gravement désorganisé !

Le pavé va ou ne va pas atteindre la mouche, je n’ai pas de compétence pour justifier un avis. Mais pour l’économie, c’est sûr, le pire n’est pas à craindre, il est malheureusement certain.

Et je constate que personne n’a l’air de s’en rende compte. Heureusement pour moi, mes amis, mes relations, familiales y compris, ne vont pas lire ces lignes…

Bormes les mimosas, 24 mars 2020

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