/Opinions eclairées

20 octobre 2014

À propos du « suicide français »

J’ai lu et je recommande le livre d’Eric Zemmour. Pour ce qu’il démontre. Mais plus encore pour ce dont il est la preuve ! Et qui, tout compte fait, n’est pas plus réjouissant que cela…

Est-ce qu’on peut encore l’avouer ? Non, je n’ai pas lu le livre de Valérie. À dire vrai, tout ce que l’actualité nous avait imposé des étalages de la dame ne pouvait laisser à personne la moindre illusion sur le contenu du panier de la mégère, tant pour la forme que pour le fond, touché, s’est-on empressé de nous l’expliquer, dès le titre. (« Il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre », disait Napoléon, et quand on exhibe les secrets de ses boudoirs et l’intimité de ses alcôves, on renonce définitivement à être pour qui que ce soit quelque grande dame que ce soit !)

Par contre, j’ai lu, et de plus avec beaucoup d’attention, c’est-à-dire le crayon à la main, le pavé d’Éric Zemmour : « le suicide français ». Et quoiqu’on puisse en penser par ailleurs, j’en recommande à chacun la lecture, car avant d’être quoi que ce soit d’autre, l’ouvrage est une fabuleuse anthologie de l’histoire de France contemporaine, un incroyable travail d’historien, une excellente révision de notre plus récent passé ! Tant et tant de noms cités, d’évènements rapportés, de dossiers désossés, d’évènements décortiqués jusqu’à leurs racines les plus profondes, tant de faits replacés dans leur perspective historique… La preuve en tout cas d’une prodigieuse machine intellectuelle : si Zemmour ne dispose pas d’une équipe d’au moins quinze nègres (oui, je sais que je prends un risque), on se demande : mais comment a-t-il pu rassembler autant d’informations ! Il me semble l’avoir entendu dire qu’il lui avait fallu cinq ans pour en venir à bout, mais même en cinq ans ! Et nous savons bien qu’il n’a pas fait que cela, commettant dans le même intervalle, au moins un autre livre, je ne sais combien d’articles, d’émissions, d’interviews… une bonne leçon de modestie pour tant de nous autres, qui jugeons déjà bien difficile de venir à bout de nos courriels quotidiens…

Bien sûr, ici ou là, on jugera l’épingle mince pour le manteau qu’elle prétend soutenir : par exemple, cela me paraît un peu fort tirer sur le maillot que vouloir conclure autre chose que des histoires de maillots, des succès ou des échecs de footballeurs, fussent-ils réputés nationaux, mais bon ! Un mien grand-père au demeurant philosophe n’avait pas laissé de m’étonner, quand il utilisait la vie de… Brigitte Bardot pour en conclure de perspicaces enseignements sur le destin même de notre espèce (les quatre âges de l’humanité, par Gaston Georgel)…

En vérité, j’aime bien Éric Zemmour : son allure d’éternel étudiant en littérature, son adresse dans l’exercice écrit ou oral de notre langue, ses qualités de débatteur, la vivacité et la pertinence de ses argumentations, et par-dessus tout son courageux non-conformisme.

Bien sûr, et comme il devait s’y attendre, un ouvrage à rameuter les aboiements de la horde des serviteurs achetés (niches fiscales pour les journalistes, exorbitant train de vie pour les politiques), qui vont s’accrocher à ses mollets comme roquets déchaînés…

J’aime bien Éric Zemmour, et comme au moins quatre-vingt-dix pour cent de la France silencieuse (celle qui, malheureusement, marche pour ne rien dire), je partage quatre-vingt-dix pour cent de ses analyses.

Les derniers dix pour cent ? Disons-le tout clair, ils ne me peinent pas, ils sont presque à me désespérer.

Que notre pays marche sur la tête et que nos dirigeants gavés nous conduisent à la ruine, il ne reste plus que ces derniers et leurs laquais pour soutenir le contraire. Que cette ruine ne soit que le triste produit de leur appétit d’ogre jamais rassasié et du pouvoir totalitaire que leur caste totalitaire a su peu à peu s’arroger, en France comme en Europe, tout cela va de soi. Le peuple qui souffre, veilleurs, marcheurs, mais aussi petits entrepreneurs, salariés modestes, chômeurs et futurs chômeurs, familles toujours plus asphyxiées, et tous ceux qui entendent chaque jour qu’on fait tout pour leur bonheur, mais qui voient année après année exploser les montants de leurs multiples impôts, ceux-là n’ont pas de doute à ce sujet, ils savent trop bien quelles têtes il faudrait faire tomber pour que leur martyre s’allégeât.

Mais pas Éric. Pour Éric, leur malheur, en particulier, et le malheur du monde en général, ce ne sont pas nos princes bourreaux, tout juste taxés tantôt de lâcheté, tantôt d’incapacité ; non, c’est un ennemi autrement fourbe, autrement dangereux, le monstre, le mal absolu, j’ai nommé le « libéralisme ».

Pas tout à fait le libéralisme. Le libéralisme, on l’oublie bien sûr, mais pas Éric, le libéralisme est d’abord une idée française, avec des penseurs français, et comme Éric aime la France, il ne va pas s’en prendre, directement, à ces derniers. Donc Éric ne critique pas (nettement) le libéralisme, mais le « néo-libéralisme » ! Ne laissant aucun doute à son lecteur sur le fait que son préfixe n’ajoute rien au mot, c’est tout le contraire ! Pour Éric, comme pour tant de cerveaux français, néo devant libéral est un raccourci subliminal de néant, ou encore nauséeux, nauséabond, à tout dire, une réminiscence d’innommable…

Un innommable qui ne sort ni du néant, ni du hasard, mais nous vient tout droit, on ne s’en serait pas douté, d’outre-Manche ou mieux, d’outre-Atlantique, où d’obscurs milliardaires, toujours moins nombreux, mais toujours plus riches organisent sans vergogne, mais dans le plus grand mystère, le pillage diabolique de nos villes et campagnes françaises. Un propos que ne renierait aucun de ses détracteurs !

Le libéralisme anglo-saxon : mais quel libéralisme ? Celui d’Obama ? Voyons, quel intellectuel honnête soutiendra qu’Obama ait quoi que ce soit de libéral ? Alors, des noms, des noms ! Mais on nous en donne : Ronald Reagan, Margaret Thatcher. Reagan, treize fois cité, pas moins que cela ! Et si vous nourrissez quelque doute sur la perception que l’auteur a de l’ancien président, il me suffira de noter qu’on nous rappelle, au moins deux fois, qu’il ne s’agit que d’un « acteur de série B », et dont l’ensemble des présentations donne à penser qu’il s’agit au mieux d’un pauvre cuistre ayant « pour seul mérite de clamer d’une voix de velours : America is back », au pire, d’un sinistre voyou, coupable maléfique des pires dérégulations « où les monnaies comme les matières premières ou les actions seraient soumises à la loi du marché ». L’horrible, le détestable marché.

Désolation ! L’image d’un Éric Zemmour, esprit libre et détaché du prêt à penser « made in France » s’en trouve soudain sérieusement écornée.

Alors, il faut se rendre à la réalité. Pour sympathique et brillant qu’il soit, Zemmour est un intellectuel franco-français : et il partage, sans peut-être même s’en rendre compte, le même mépris des intellectuels franco-français pour qui n’est pas reconnu comme un intellectuel franco-français : c’est ainsi qu’un « ancien acteur de série B », ne saurait avoir écrit « la petite poule rousse[2] », ou gagné, sans faire ni morts ni blessés, la guerre froide, provoquant l’effondrement de l’Union Soviétique ; pas de morts, pas de blessés, et la plus fantastique partie de désinformation réussie de l’histoire du monde (avoir persuadé les Russes que le projet américain de guerre des étoiles était beaucoup plus avancé qu’il ne l’était réellement). Un acteur de série B est par avance disqualifié pour tout débat intellectuel.

Et quand le poids intellectuel de l’adversaire rend tout de même aléatoire cette disqualification de principe, on cherche autre chose : les chemins suivis par Ronald Reagan ou Margaret Thatcher leur ont été inspirés par l’économiste libéral Milton Friedman. Difficile de s’en prendre au potentiel intellectuel d’un prix Nobel d’économie ? Alors on se souvient que les conseils de l’économiste ont encore inspiré… Augusto Pinochet ! Mais la voilà la preuve par neuf ! Disqualification définitive pour Friedman, inutile d’en discuter plus !

Oui, Éric Zemmour est bien un intellectuel français : en réalité, ce qu’il aime, mais, sincèrement, viscéralement, des tripes et du cœur, c’est l’état ! Et les « hommes d’État » : une admiration non déguisée par exemple, pour notre Napoléon national ou encore notre De Gaulle, non moins national (faisant tout de même bon marché des quelques trois millions de morts occasionnés par le premier, et du martyre pied-noir ou harki pour le second).

Et pour lui, notre seul et vrai problème est qu’après De Gaulle, il n’y a plus rien : le suicide français, c’est l’incapacité ou la médiocrité des dirigeants, tous les dirigeants qui ont succédé à De Gaulle. Qui n’ont su résister ni à l’Europe, ni surtout à la « mondialisation », nécessairement libérale, idéologique, la véritable plaie du monde !

La mondialisation ! Pas moins de quarante-sept occurrences dans l’ouvrage ! Des occurrences dont les citations en diront plus que tout vain discours : « les contempteurs de la mondialisation qui haïssent les frontières », « la mondialisation des échanges et la pression à la baisse qu’elle entraîne sur les salaires », « l’idéologie de la mondialisation » et ceci, qui mérite le détour : « la privatisation à la française, tel le Titanic, rencontre bientôt un iceberg qui n’était pas sur les cartes de navigation : la mondialisation »…

Mais Monsieur Zemmour, le problème est que la mondialisation n’est pas une idéologie, mais un fait, une réalité. La question qui se pose n’est donc pas de condamner la réalité, mais d’inventer les moyens de nous y adapter, le mieux ou le moins mal possible. Toute autre attitude est en effet un suicide. Et l’un des moyens les plus efficaces pour s’y adapter est peut-être le libéralisme ; ce que croient en tout cas, comme vous le reconnaissez d’ailleurs, même les communistes chinois. Le moins que l’on puisse en dire est que le sujet mérite au moins réflexion.

Une réflexion qu’apparemment personne, absolument personne parmi le paysage politique ou intellectuel français ne semble vouloir mener. Ce que, je le reconnais, je trouve pour le moins inquiétant, sinon désespérant (suicidaire ?).

Paris, le 20 octobre 2014

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