/Opinions eclairées

8 octobre 2014

Pourquoi avoir marché ?

Je marche, je marche, je marche.

Fichue arthrose. Marcher vite, ou même courir, ça va ; ou du moins ça va encore. Mais piétiner, misère !

Mais aussi, que suis-je venu faire dans cette galère ? Personne ne m’y a obligé ; personne ne m’a rien demandé ; personne ne m’en remerciera ! Je ne me suis pas contenté d’y aller, j’ai laissé ma femme m’accompagner ! C’est vrai qu’elle a l’air de beaucoup moins peiner que moi…

On s’arrête, on repart, non, finalement, on s’arrête. Pourquoi ? On ne sait pas.

Une borne entre le trottoir et la rue. Je m’y hisse. Aussi loin que l’on peut voir devant soi, la foule, serrée, compacte. Et derrière ? Derrière, c’est pareil. Demain, ce soir, c’est sûr, ils diront que nous n’étions qu’une poignée. Je me demande lesquels parmi nous n’existent pas.

Ah, on repart ; la foule, un monde en soi. Uniquement des gens bien élevés ; qui s’excusent quand par maladresse vous venez à les bousculer. Des vieilles personnes, incroyablement distinguées, que des petites filles modèles appellent « Bonne maman » ou « Bon papa ». Des couples pétillent d’enthousiasme et de dynamisme. Des familles avec enfants disciplinés, qui marchent bravement, sans faillir, les aînés veillant sur les plus jeunes. Là, des jeunes gens, nuques nettes sinon rasées respirent la joie de vivre et la camaraderie virile. Ailleurs, un groupe de jeunes filles, riantes de santé et de fraîcheur enthousiaste, font mine de vouloir dépasser les garçons. Parfois même un prêtre, qui semble encore croire en Dieu.

Avenues et trottoirs paraissent désemparés : mais qui sont ces intrus, semblent-ils interroger ? Où sont passés voiles noirs, clochards vautrés, forces de l’ordre et bobos négligés, mais gonflés de suffisance ? Que sont donc devenus les Parisiens ordinaires ? Et qui sont ceux-là qui les remplacent en si grande foule ? D’où peuvent-ils s’être échappés ? Certaines pancartes le suggèrent : quelques noms de banlieue, beaucoup de villes plus lointaines, des noms ou des drapeaux de régions ; aucun doute, c’est la province à Paris. Ou diront certains chagrins, une certaine province à Paris, c’est vrai, plutôt bon chic et plutôt bon genre, avec des enfants dans de bonnes écoles en semaine, et chez les scouts le dimanche, et des parents plutôt sages, avec métiers, situations, loisirs, appartements ou mieux maisons avec jardin, raisonnables et bien dans l’ordre…

Tout le monde a ses pancartes et ses drapeaux. Certains courageux portent de véritables étendards. Je leur vote une secrète admiration teintée d’un peu d’envie ; moi qui par raison me contente de supporter mon parapluie. Au fait, pleuvra-t-il ? Pour l’instant, le ciel se retient. Que se passera-t-il s’il pleut ? On le devine, nos marcheurs ne sont pas du genre à se laisser intimider par de la pluie.

Des micros font du bruit, et crachouillent des discours, que personne ne comprend. Parfois, on devine cependant des slogans ; alors la foule les reprend, sagement, en chœur, avec conviction certes, mais sans se départir d’un humour de bon aloi.

On s’arrête encore. J’aurais pu profiter de mon dimanche pour… mais non, je suis là, sans être sûr de bien savoir pourquoi. Par devoir ? Mais quel devoir ? Par instinct. C’est cela, je suis là d’instinct. D’instinct plus que de raison.

« François, ta loi, on n’en veut pas ! », scande la foule. Mais moi, qui ne rêve que bateau et tropiques, et me trouve par hasard ou par misère pris au piège du bitume parisien, qu’ai-je à faire de cette loi, de celle-là et de toutes les autres en général ? Quoiqu’on puisse en penser par ailleurs, à quoi peut-il servir d’interdire en France ce qui est permis ailleurs ? La France, risée économique de l’Europe, sinon du monde, a-t-elle des leçons à donner à qui que ce soit ?

On marche à nouveau ; on discute entre voisins. Le premier ministre a dit qu’il n’y aurait pas de GPA. Promesse typiquement socialiste ! Ce que le ministre ne fera pas lui-même, il le fera faire par ses juges, et les marcheurs iront se rouler dans la farine. Mais il va demander aux pays qui acceptent la GPA de faire une exception en la refusant pour les Français ! Un tel projet n’ayant aucune chance de prospérer, encore et encore de la farine !

Toujours marchant, je m’interroge : combien d’homosexuels en France ? A priori, la même proportion que partout dans le monde. C’est-à-dire extrêmement peu. Ne discutons pas les chiffres, ils sont en réalité si faibles que cela n’en vaut même pas la peine. Et parmi ceux-ci, combien vivent réellement en couples ? Et parmi ceux qui vivent en couple, combien souhaitent réellement s’embarrasser de l’éducation d’enfants, qui vont de toute façon commencer par leur coûter très cher. Mais comment une aussi petite minorité de la minorité d’une petite minorité peut-elle réussir à imposer dans tellement d’endroits du monde, des lois dont une immense majorité ne veut pas ?

Un mauvais berger l’a dit sans ambages : il faut la GPA pour tous, sinon, celle-ci ne sera accessible qu’aux riches. Quel hypocrite, avec au pouvoir les amis du berger, ce sont les enfants qui ne seront bientôt plus possibles que pour les plus riches !

Une intuition : la plupart des personnes qui marchent autour de moi se soucient des lois à peu près autant que moi. GPA, PMA, pour, contre, on peut argumenter à l’infini. Pour, contre, les réponses et les choix ne peuvent être qu’individuels ; si l’on voulait se persuader que les pires des solutions seront toujours celles des états, il suffit d’observer combien diverses sont ces dernières !

Faudrait-il « revenir » sur le « mariage gay » ? Vous ferez comme vous vous voudrez, mais personnellement, je m’en fiche à peu près complètement. Bien sûr, vous ne m’empêcherez jamais de penser qu’un mariage gay est toujours une pitrerie. Mais pas beaucoup plus à vrai dire que n’importe quel autre mariage d’état. En France, les mariages d’état ont été inventés, après la révolution, pour supplanter les mariages religieux. Et les mariages d’état n’ont perduré que parce qu’ils ont été rendus obligatoires pour procéder aux mariages religieux (ce qui, à bien réfléchir, est en fait proprement incroyable), et pour des raisons fiscales. Je juge pour ma part qu’il faut rendre aux mariages gay cette justice : en tant que « cérémonies », ils remettent les mariages d’état à leur juste place, la singerie somme toute assez peu convaincante de ce qui est sacré dans un mariage religieux.

Laissons à l’état ce qui lui revient, c’est-à-dire la création d’une unité fiscale entre deux contribuables dont il n’a pas à se soucier du sexe ; mais ce qui est sacré dans un mariage, y compris entre personnes athées, ne peut concerner que ces personnes elles-mêmes, et ce à quoi elles croient (ou ne croient pas). Le lobby gay sera-t-il assez puissant pour convaincre Dieu ? Pour Allah, en tous cas, cela paraît bien peu probable…

Et l’on continue de marcher, de s’arrêter, de repartir.

À force de piétiner, il nous semble au loin deviner la ligne d’arrivée. Sur une vaste estrade de foire, les discours se succèdent. Pourquoi ce côté barnum me met-il un peu mal à l’aise ?

Mais c’est décidé, nous irons quand même jusqu’au bout… Pourquoi ? Encore une fois, d’instinct ! Soudain, je comprends pourquoi j’ai traîné ma carcasse jusqu’ici. Contre, pour une loi ? Sans moi ! Mais encore une fois d’instinct. Le peuple qui marche autour de nous, un peuple d’ordre, de mesure, de valeurs simples et anciennes, de valeurs sûres. Un peuple avec lequel il est encore possible d’espérer, de construire, de défendre. Un peuple dont on devine qu’il est comme nous, excédé de cette chienlit qui veut nous étouffer tous, l’école à la dérive, la justice du mur, l’économie épuisée d’entretenir nos princes et leurs alliés, lesquels n’ont pas commencé de seulement envisager de rien réduire de leur insolente opulence ; et le mépris fonctionnaire, et l’envahissement (nié) de notre territoire, et les zones de non-droit, l’insécurité des « zones de droit », insécurité dont on nous serine qu’elle est seulement virtuelle ; et les syndicats protégés qui ne représentent qu’eux-mêmes, mais qui jour après jour, inexorables, continuent de ruiner et de décourager nos entrepreneurs ; et les bavardeux des médias, goinfrés d’avantages fiscaux, déversant en continu leurs insanités courtisanes ; et le hold-up fiscal organisé contre les automobilistes ; et l’enfer réglementaire de notre quotidien, augmenté chaque jour, chaque heure, de sa ration de nouveaux règlements, décrets, ordonnances ; et les conditions toujours plus misérables faites à nos chômeurs, nos jeunes, nos retraités, nos familles ; … soudain, la ligne est franchie : je fais désormais partie des 430 000[1] marcheurs zombies que les compteurs officiels de l’état n’ont pas vus ce dimanche 5 octobre 2014 à Paris.

Paris, le 8 octobre 2014

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