/Opinions eclairées

5 septembre 2014

Déréglementer ? Chiche !

Pendant sa campagne, l’actuel Président disait vouloir introduire « un peu de croissance ». Je posais alors une question : si ce Président a le pouvoir de créer tout seul de la croissance, pourquoi seulement « un peu » ? Jésus multipliait les pains, il n’en a pas limité le nombre.

Aujourd’hui, les hommes de l’État suggèrent qu’ils vont augmenter notre pouvoir d’achat en réorganisant certaines professions réglementées. Mais si une telle procédure se trouve en faveur du pouvoir d’achat, pourquoi seulement quelques-unes d’entre elles ? Pourquoi pas toutes ? À commencer par la plus protégée et la plus réglementée que l’on puisse imaginer ?

Dernier chiffon rouge à la mode : les professions réglementées. « Le gouvernement veut déréglementer les professions réglementées. »

Pour quoi faire ? Pour améliorer le pouvoir d’achat des consommateurs.

La déréglementation améliore le pouvoir d’achat ? Délire ! Ce n’est même plus un langage libéral, c’est un argument proprement libertarien ! Comment faut-il comprendre ?

C’est que libérer les professions réglementées serait en réalité libérer l’ensemble de l’économie : des professions non réglementées, vous en connaissez beaucoup vous ?

« Il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouve bon. »

Texte central du décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791, repris dans la lettre et l’esprit par la loi dite Le Chapelier, promulguée en France le 14 juin 1791.

Cette loi visait à redonner un espace de respiration à une société issue de l’ancien régime, étouffée et paralysée par un nombre incalculable de règles, de lois, de normes… La société n’en pouvait plus, l’emploi manquait partout, il régressait sans cesse, les gens avaient faim… Une situation qui vous en rappelle une autre ?

La loi n’était pas votée que tous les corporatismes en commençaient le siège, visant à en limiter les effets, bien entendu pour les meilleures raisons que l’on puisse imaginer. Le texte, très vite, était à lire : « Il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouve bon, sauf pour… »

Et comme il était à craindre, les « sauf » se sont multipliés au point qu’aujourd’hui, on peut résumer : « Il sera interdit à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouve bon, sauf dans de très rares exceptions. »

On cherche en effet les professions que l’on peut encore exercer sans passer par les fourches caudines de multiples obligations, réglementations, contraintes et freins de toute sorte.

Personnellement, je n’en connais qu’une seule, à laquelle vous ne vous attendez sans doute pas : celle de… toiletteur pour animaux de compagnie ! Pourquoi cela ? Certains de ceux qui m’aiment bien et beaucoup de ceux qui me détestent pensent que votre serviteur et quelques-uns parmi mes amis y seraient pour quelque chose, mais je dois à la vérité de dire que les uns et les autres nous prêtent un écho que nous n’avons guère… Cette exception, pour combien de temps ? Je n’en sais rien, mais ce que je sais, c’est qu’il faut espérer qu’elle durera le plus longtemps possible : car ne cherchez pas ailleurs que dans cette liberté, cette absence réglementaire, la formidable et constante progression de cette profession depuis plus de vingt ans  ! (Certains esprits chagrins vous diront qu’un nombre significatif des entreprises qui se créent dans ce secteur disparaissent dans les trois ans : c’est parfaitement vrai, mais c’est une réalité partagée avec toutes les entreprises qui se créent, quel que soit leur secteur d’activité.)

Pour le reste, on peut chercher désespérément parmi les professions, celles qui n’exigent pas quelque diplôme préalable obligatoire ; ce n’est jamais signalé, mais cela suffit à expliquer au moins pour partie la désertification de nos campagnes ; cette furie diplômante fait sans doute le bonheur et la richesse des dispensateurs de diplômes (et donc des hommes de l’État), mais elle limite considérablement les possibilités de pluriactivités, qui sont pourtant si nécessaires dans les espaces où les densités de population sont trop faibles pour assurer la survie d’entreprises à offre insuffisamment diversifiée. Ayant vécu sur une île (française), je pourrais facilement illustrer ce propos par des exemples précis, mais tel n’est pas l’objet du présent billet. (Par exemple un îlien, dans de nombreux cas, pourrait facilement combiner une activité de pêcheur côtier, avec celle d’éleveur et d’agriculteur ; mais dans la réalité, il lui faudrait plus que la durée de sa vie pour réunir les diplômes lui donnant le droit de vendre les produits de sa pêche et de son élevage, tout comme ses pommes de terre.) 

L’étape du diplôme est rarement la dernière : elle n’est souvent, au contraire, que le début d’un long chemin (de croix) de démarches diverses.

L’argument principal mis en avant pour défendre ce système est bien entendu qu’il conviendrait de protéger le public contre les agissements d’acteurs incompétents. Mais un instant de réflexion suffit pour comprendre que cet argument n’est que pure hypocrisie : si la possession d’un diplôme et de diverses aux autres autorisations administratives était de nature à réellement protéger qui que ce soit, il n’y aurait aucune raison et aucune nécessité de rendre quoi que ce soit obligatoire. La seule information suffirait et permettrait au public de choisir à bon escient.

Très rares sont donc les professionnels à prendre ce pari ! Au contraire, ils sont à ce point incertains que leur diplôme leur assure un meilleur savoir-faire, qu’ils sont en général unanimes a préférer ne pas prendre le risque d’une concurrence avec des non-diplômés : c’est avidement qu’ils soutiendront, quand ils ne les provoqueront pas, les réglementations visant à verrouiller aussi fortement que possible leur secteur d’activité à leur unique profit.

Un autre argument des partisans de la réglementation est qu’il serait dangereux de s’en remettre au jugement du public, dont une partie au moins, naïve ou mal informée, pourrait se laisser abuser par des incompétents. La liberté de choisir (et donc de se tromper) encore (provisoirement ?) permise à l’électeur est donc définitivement confisquée au client, par hypothèse ou définition, majoritairement un imbécile ou un niais, ou les deux à la fois !

Il semblerait pourtant de bon sens que si les individus sont les crétins qu’on nous décrit, il serait plus urgent de leur retirer le droit de vote que celui de leurs choix de consommations…

Bon, mais je le confesse, tout ce qui précède n’est que bavardage : ni moi, ni vous, ni personne ne croit une seconde que l’horizon de quelque déréglementation soit à l’horizon de quelque réalité. La vérité est exactement à l’opposé : pas un jour qui passe sans sa moisson de décrets, arrêtés, circulaires, tous peu ou prou liberticides ; une ration quotidienne pour alimenter les (grandes) pages des (petites) lettres du journal officiel.

Personne, et surtout pas les membres du gouvernement ; il semble bien que la seule déréglementation sérieusement envisagée ne soit dans les faits qu’une sorte de nationalisation rampante de professions relevant d’une délégation de service public, comme c’est le cas des notaires par exemple ; on devine aussitôt la réelle préoccupation des hommes de l’État : bien plutôt la récupération de montants financiers qu’on imagine exorbitants, qu’une réelle réduction des coûts pour nous autres particuliers.

Bien sûr, histoire de faire diversion et d’occuper l’attention du public, on fera klaxonner les taxis, et peut-être même défiler les pharmaciens, mais cela n’ira pas bien loin.

Ce qui pourtant pourrait réellement et immédiatement décongestionner notre malheureuse société, lui donner un véritable bol d’air, en augmentant en un instant, et sans la moindre douleur, la totalité de tous les salaires n’est, semble-t-il, malheureusement, à ce jour, envisagé par personne : la déréglementation de la profession la plus réglementée et la plus protégée de notre pays, l’assurance sociale, de plus en plus faussement baptisée Sécurité Sociale ; la question de savoir si le monopole de fait de cette institution est encore légal est certes posée par beaucoup[1], mais qu’il soit légal ou non, cela n’y change pas grand-chose, puisqu’à ce jour, le seul moyen simple et réellement accessible de se trouver mieux assuré à des tarifs beaucoup plus compétitifs est… de quitter notre pays…

Paris, le 5 septembre 2014

[1] http://www.wikiberal.org/Wiki oui oui/Abrogation_du_monopole_de_la_Sécurité_Sociale

http://www.claudereichman.com/articles/communique_mlps_17_%20janvier_2014.pdf

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