/Opinions eclairées

5 juillet 2014

Pourquoi je juge scandaleux le traitement infligé à Nicolas Sarkozy et pourquoi je n’ai aucune pitié pour lui.

On l’aura compris, Monsieur Sarkozy a plutôt mal vécu l’épreuve de sa garde à vue.

Il a estimé qu’il y avait disproportion. Disproportion en regard des faits reprochés : avoir tenté d’obtenir des informations sur un dossier le concernant, vrai ou faux, on ne peut pas dire que cela ait pu porter atteinte, même un petit peu, à la sécurité publique. Disproportion par rapport à la réalité de la situation : quelle forme d’avantage la méthode retenue était-elle susceptible d’apporter à la découverte de la vérité ?

Monsieur Sarkozy a souffert de ce qu’il a ressenti comme une agression hors de proportion. Et en cela, je partage complètement son point de vue.

Lui, et certains de ses amis ont aussitôt crié à l’injustice ! Tandis que tous ceux qui ne sont pas ses amis ont fait valoir qu’il n’y avait là aucune injustice, et que l’ex-président était seulement traité comme n’importe quel autre citoyen dans une situation identique.

Et la réalité est que ces derniers ont raison : l’ex-président a été traité comme n’importe quel autre citoyen dans une situation identique. Et, à mon avis, c’est précisément cela le problème.

C’est que dans une société qui présente en même temps ces deux caractéristiques de la perte des valeurs et d’une judiciarisation galopante, l’infraction, volontaire ou non, de « l’honnête homme » est de moins en moins distinguée du crime du voyou. D’ailleurs le voyou n’existe pas, c’est en réalité une victime. Une victime de la société des honnêtes gens, qui ne le sont donc pas, et qui méritent d’être sanctionnés en priorité.

Pour une partie de l’opinion publique, le conducteur, qui sans nuire à personne, dépasse ou est soupçonné d’avoir dépassé les vitesses autorisées, le contribuable, qui sans mettre aucune vie en danger, essaye ou est soupçonné d’avoir essayé de sauver de la furie fiscale quelques biens souvent durement gagnés, le citoyen qui n’a pas respecté telle réglementation… tous sont en réalité pires que voleurs et assassins, et doivent être traités sans ménagement. Les juges se trouvant de fait partager très majoritairement les convictions de cette partie de l’opinion publique, ont mansuétude pour le voyou, auquel on ira jusqu’à pardonner même les plus nombreuses récidives, mais n’ont que sévérité pour le conducteur ou le contribuable.

Une catégorie de citoyens éveille, plus que toute autre, les pires suspicions : les entrepreneurs ! D’ailleurs, peut-on être « patron » et honnête ? Pour une partie de l’opinion publique et donc pour un grand nombre de juges, la réponse est entendue : c’est non. Il n’y a donc que deux sortes de patrons, ceux que l’on n’a pas encore réussi à épingler sur le mur, et les autres, ceux que l’on a épinglés, et qui doivent payer pour eux, bien sûr, mais aussi pour les autres. Harcèlement (très à la mode), infraction à la législation de ceci ou cela (la liste est sans fin)… Ce qui est le plus efficace, c’est l’accusation de publicité mensongère : comme le disait une avocate de mes ennemies, du côté de la publicité mensongère, on trouve toujours à gratter, la publicité étant de toute façon une forme de mensonge.

Je réserve à ceux de mes lecteurs qui viendraient contester mes propos, ou ceux dont la curiosité se trouverait piquée, le récit authentique, avec dates, nom du juge d’instruction et des gendarmes chargés de l’instruction (à charge et à charge, toujours dans de tels cas) de quatre ans du calvaire d’un patron, avec intervention matinale sur le lieu de travail de plus de trente gendarmes, garde à vue, de lui-même et de plusieurs de ses proches, perquisition des lieux de travail et de son domicile, une petite centaine d’interrogatoires de ses amis, de ses ennemis, et pire, de ses clients… une douzaine de comparutions devant son juge d’instruction, pour un litige portant sur un montant… de quatre mille euros ! Bien sûr, cela finit par un non-lieu, mais le mal était fait !

Ce patron-là, et des centaines, des milliers d’autres, pourraient en témoigner, Monsieur Sarkozy, votre traitement, ils l’auraient considéré comme un traitement de faveur ! Pour eux, ni pizza réparatrice, ni compréhension de juges d’instruction qui veillent jusqu’au matin pour vous libérer plus tôt, mais la dure réalité des réfectoires et des cellules de détention, sans matériel de toilette, sans lacets ni ceinture, et sans la pitié de qui que ce soit : « le juge vous recevra demain dans la journée, s’il en a le temps ! »

Non, vous n’avez pas été plus maltraité, Monsieur Sarkozy, que ne le sont les honnêtes gens pris dans les mailles de la justice. Bien mieux traité, vous en conviendrez, que par exemple, les martyrs d’Outreau. Qui ont dû survivre, rappelons-le, à la PROMOTION de leur bourreau, unanimement soutenu par toute sa confrérie.

Mais, en dehors de bavardages médiatiques, qu’avez-vous fait pour améliorer les choses, quand vous étiez en situation de pouvoir le faire ? Rien ! Et d’une certaine façon, vous les avez au contraire aggravées.

Voilà pourquoi je n’ai aucune pitié pour le sort (somme toute pas bien grave, dans votre cas) qui vous a été réservé.

Paris, 5 juillet 2014

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