C’est un ministre qui l’a dit, et pas l’un des moindres : il existe un moyen archi simple de réduire le poids de notre code du travail : l’écrire plus petit, sur un papier plus fin.
Ce sont de très nombreux ministres et hommes politiques, et non des moindres, qui l’ont dit : les dénonciations par les entrepreneurs de leurs difficultés sont des « jérémiades » (auxquelles ceux-ci sont invités à mettre un terme aussi vite que possible).
Faut-il que la soupe soit épaisse, et qu’elle soit bien goûteuse, pour qu’après de telles insultes, les dirigeants des mouvements patronaux de ce pays envisagent encore quelque dialogue que ce soit avec de tels « pouvoirs publics », et n’entrent pas immédiatement dans une grève qui ne prendrait fin qu’avec des excuses, sinon des démissions ?
Mais la soupe reste goûteuse, on ne quitte pas facilement une table qui vous nourrit trop bien. Et toujours plus. Et la soupe continue d’épaissir, inexorablement, pimentée d’un paritarisme de rapine, mais si bien protégé ! Dernier progrès social en date : la nécessité pour les entreprises de souscrire des mutuelles pour l’ensemble de leurs salariés. Donc une augmentation de l’impôt sur le travail (les charges sociales, patronales et salariales, ne sont en réalité qu’un impôt, quoi qu’on en dise), acceptée par le patronat.
Comment ce patronat, qui dénonce à l’envi le poids excessif de l’impôt sur le travail a-t-il pu accepter, voire négocier, ce nouvel et inutile alourdissement ? Sans doute le produit d’obscures tractations, mais aussi l’espoir d’en tirer quelques bénéfices : le projet était clairement de contraindre les entreprises à ne souscrire des contrats qu’auprès de « mutuelles de branche », qui sont des organismes paritaires… Ne cherchez pas l’erreur, vous l’avez trouvée : lire à ce sujet l’excellent article d’Éric Verhaeghe, « le patronat français meilleur ennemi de l’économie de marché » (http://www.eric-verhaeghe.fr/le-patronat-francais-meilleur-ennemi-de-leconomie-de-marche/). Pour l’instant, un restant de morale du Conseil d’État a mis la rapine en sursis…
Et pendant ce temps, pour la nième fois, le chômage augmente. Pour la nième fois, nos dirigeants, avec des airs de professeurs Nimbus nous expliquent que les chiffres sont mauvais, mais que c’est normal. Les chiffres sont mauvais, mais ce n’est bien sûr pas de la faute de leur politique, qui ne saurait être mauvaise, puisque précisément, c’est leur politique. La faute à personne alors ? Si, la faute à la croissance. Ou plutôt à l’absence de croissance. Et, sous-entendu, l’absence de croissance ne saurait leur être imputée, tout de même !
La croissance donc. Mais la croissance de quoi ? La croissance, c’est quoi ?
On le devine, ce à quoi pensent nos dirigeants en priorité, c’est à une croissance monétaire, solution keynésienne par excellence, dont on peut discuter les effets aussi longtemps qu’on voudra, mais qu’on ne peut imposer à une réticente Madame Merkel, qui estime que les pas dans ce sens sont déjà trop nombreux.
Ce qui vient ensuite à l’esprit, c’est qu’il s’agirait de quelque chose en référence avec le Produit Intérieur Brut. Supposons, pour l’exercice, que ce soit en effet de cela qu’il s’agit.
Ce qui ne va pas sans poser immédiatement un certain nombre de problèmes. Oublions les discussions sur la définition ou la pertinence de cet outil de mesure ; rappelons seulement pour mémoire que Frédéric Bastiat faisait déjà remarquer en souriant que l’homme qui épousait sa cuisinière (et donc cessait de lui verser une rémunération) devenait la cause d’une diminution du produit intérieur brut ; mais ce qu’il est piquant de noter, c’est que l’idée qu’un bonheur de l’humanité (ici la diminution du chômage) soit lié de quelque façon que ce soit à la croissance d’un produit intérieur brut n’a rien d’une idée de gauche ! Ce serait même, chacun en conviendra, plutôt le contraire ! Les dirigeants du moment se servent d’un argument en réalité bien étonnant venant d’eux !
D’ailleurs, est-il à ce point certain, comme d’aucuns semblent le croire, qu’il y ait nécessairement et mathématiquement corrélation entre croissance du produit intérieur et croissance de l’emploi ? Il n’y a en réalité que les politiques pour le croire ; mais n’importe quel entrepreneur sait bien que le progrès technologique et les gains de productivité n’ont d’autre finalité que de produire plus avec moins de masse salariale.
Cela peut plaire ou choquer, on peut s’en féliciter ou s’en indigner, mais la vérité sans angélisme est celle-ci : le but de l’entrepreneur, ce n’est pas l’emploi ! C’est le profit ! Et il est salutaire qu’il en soit ainsi : car c’est le profit, et lui seul, qui assure la vie et la survie de l’entreprise.
Si le profit passe par l’emploi, ou plus d’emploi, l’employeur embauche. Si l’emploi devient trop cher (salaires trop élevés, salaires minima) et s’il est trop imposé (charges sociales et autres taxes liées aux salaires), l’employeur se retient d’embaucher, et s’il le peut, dès qu’il le peut, il licencie. Enfin, si le risque lié à l’emploi (coût d’un éventuel licenciement devenu nécessaire) est trop important, il se retient d’embaucher, dût-il pour cela renoncer à entreprendre. Et c’est exactement ce qui se produit en ce moment, pour un très grand nombre d’entrepreneurs. Et qu’on le veuille ou non, une croissance, même à deux chiffres, pour l’ensemble du pays ou seulement pour leur secteur professionnel n’y changerait strictement rien. Pour une fois, me voilà d’accord avec nombre d’économistes de gauche : l’évolution du chômage n’a pas grand-chose à voir avec celle de la croissance. La croissance (ou son absence) n’est qu’un leurre pour ne pas aborder les vrais problèmes.
Les entrepreneurs (les vrais, ceux qui se dispensent des inutiles grand-messes syndicales ou gouvernementales) agissent en entrepreneurs. Ils ne se plaignent pas, ils ne produisent pas de « jérémiades ». Ils cherchent, souvent jusqu’au désespoir, tous les moyens pour équilibrer leurs comptes d’exploitation. Et aujourd’hui (faites parler les experts-comptables et d’autres hommes de terrain), ils sont, tous, profondément angoissés ! Des « jérémiades » répondent les politiques.
Quel autisme !
Imaginez ce que ressent un entrepreneur qui voit son chiffre d’affaires se réduire de 5 %, 10 %, parfois jusqu’à 60 %, quand il s’entend traiter de pleurnichard par des « Messieurs » qui continuent, impavides, de rouler carrosse, de fournir à leurs maîtresses ou leurs amants les sinécures les plus inutiles, et n’ont pas commencé de réduire d’un centime une arrogante opulence !
Paris, le 2 juillet 2014
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